Yv

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Je lis, je lis, je lis, depuis longtemps. De tout, mais essentiellement des romans. Pas très original, mais peu de lectures "médiatiques". Mon vrai plaisir est de découvrir des auteurs et/ou des éditeurs peu connus et qui valent le coup.

Éditions des femmes-Antoinette Fouque

13,00
Conseillé par
3 mai 2017

D'Ella Balaert, j'ai lu Canaille Blues, il y a quelques années. Le relisant, très vite forcément, la brièveté a du bon, je retrouve assez aisément des détails l'histoire, preuve qu'il m'a marqué. Pour Placement libre, autre ambiance et personnage quasi unique. Ce qui surprend dès le départ, c'est le "tu" employé, à la fois un peu accusateur et bienveillant. Accusateur ou critique lorsque le repli sur soi, la faiblesse ou la flemme de bouger, de se bouger prennent le dessus. Bienveillant lorsque l'inverse se produit et que le positif domine. Je comprends cette femme, moi qui suis toujours enthousiaste lorsqu'un spectacle qui m'intéresse se joue près de chez moi, je peux même acheter des billets et puis ensuite angoisser pour les mêmes raisons ou parce que ma claustrophobie m'oblige -enfin m'oblige, disons que ça me rassure- à m'asseoir plutôt près d'une issue, en bout de rang, parce que ma hantise des foules m'oppresse et qu'elles -les foules- me privent de ma liberté. Autant dire que je suis entré dans ce roman très vite et m'y suis senti bien, et contrairement à ce qu'on pourrait croire, il est globalement positif. Cette femme fait le point, arrivée presque à la moitié de sa vie, donc des questions importantes et profondes surgissent : sur la vie à deux ou seule, sur le travail obligé et/ou donner libre cour à ses envies, ses passions, sur la différence entre l'image que l'on donne de soi et qui l'on est réellement, sur la liberté que l'on s'octroie ou sur les contraintes que l'on se donne, sur sa place dans la société, sur la société dans laquelle on veut vivre, ...

Très bien écrit, jouant avec les codes de la ponctuation, avec les longueurs de phrases, la mise en page, ce court roman est présenté par une maison d'édition que je ne connaissais pas, Des femmes-Antoinette Fouque qui, comme son nom l'indique fait la part belle aux femmes.

C'est un très beau portrait d'une femme actuelle qui se pose des questions et veut vivre enfin pour elle. Fine et délicate, l'écriture nous amène au plus profond de ses réflexions et de ses sentiments et émotions, sans voyeurisme, par petites touches. Ella Balaert va au plus direct, mais en prenant des chemins détournés. On saisit très bien ce qu'elle écrit, même si parfois, elle utilise les allusions, les images, les bribes d'informations disséminées qui rassemblées font sens. Pour finir, un extrait choisi dans lequel l'auteure part de son titre, ces deux mots : placement libre :

"Tu hais furieusement tout à coup ces deux mots, pourtant libre ce n'est pas rien, ça pourrait dire que les hommes sont égaux, ça devrait signifier qu'on se respecte, qu'on se choisit, et de nouveau chaque jour. Au lieu de ça, chacun ne pense qu'à soi dans un jeu de libre concurrence

et ce qui te fait peur, c'est d'être la dernière, c'est cette possibilité n'est-ce pas ?" (p.30)

De la rochelle a dachau

Oger Tiburce

Rue de Sèvres

17,00
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3 mai 2017

Le 8 mai 2015, Guy-Pierre Gautier est élevé à la dignité de Chevalier de la Légion d'Honneur eu égard à son comportement pendant la guerre de 39/45. Son petit-fils, Tiburce Oger dessine la vie que lui raconte son grand-père. Guy-Pierre est né en 1924 à Saintes. Pendant la guerre, il imprime et distribue des tracts puis participe avec son réseau à diverses actions de terrorisme comme disait l'occupant d'alors : déraillement de trains, incendie de dépôts de bois destinés aux Allemands, de dépôts d'armes. Il finit par être arrêté et déporté à Dachau où il vivra les heures les plus terribles de sa vie d'homme tant l'humanité est niée dans le camp.

J'aime bien les récits en bande dessinée des descendants des résistants et/ou prisonniers des guerres. Tardi l'a superbement fait avec Stalag IIB, Marc Lévy -et oui- également dans Les enfants de la liberté mis en images par Alain Grand, L'île des Justes de Stéphane Piatzsek et Espé et évidemment Art Spiegelman dans Maus... Je trouve que la BD apporte un plus, notamment celui de parler à un public plus large et plus jeune que le récit ou la biographie. Les survivants de la guerre ne seront bientôt plus de ce monde et il ne faudrait pas que ces disparitions fassent oublier l'horreur et que certaines thèses négationnistes enflent exagérément.

Dans cet album, Tiburce Oger raconte la vie simple de son grand-père, ce jeune communiste qui, dès 16 ans s'est retrouvé porteur de messages puis, très vite au sein d'un réseau de résistants. Ensuite, les actions anti-occupants et l'arrestation. Il n'élude pas. Les dessins sont parlants, parfois durs mais nécessaires. Il ne parle pas de la Shoah, puisque Guy-Pierre n'était pas avec des juifs dans les camps mais avec des communistes, des prisonniers politiques. Les conditions sont assez similaires et si, à juste titre, on a beaucoup parlé des camps de la mort pour les juifs, il ne faut pas oublier ceux qui ont résisté et qui ont été arrêtés, torturés et déportés. Comme le dit Guy-Pierre, les blessures physiques se soignent, mais 70 ans après les faits, il cauchemarde toujours, les blessures psychologiques ne se referment pas.

Bande dessinée à mettre entre les mains des jeunes adolescents, ce qui permettra de provoquer des questions et des discussions autour de la barbarie, de l'intolérance et des théories raciales.

Prix Simone Veil 2017 — Catégorie Roman

Albin Michel

22,90
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3 mai 2017

J'aime bien Theresa Révay. En fait, je ne suis pas fan du genre dans lequel elle exerce son talent, mais suite à une lecture mitigée (Dernier été à Mayfair), nous avions échangé d'abord par les commentaires sur le blog, puis par mail, toujours avec beaucoup de détachement et d'humour de sa part, moi, vous connaissez ma lourdeur !

Donc, lorsque je reçus ce dernier roman, je fus surpris et finalement peu tenté, ce qui ne la gêna absolument pas. Mais en bon garçon et mari que je suis, je le prêtai à Madame Yv, qui, moins "intolérante" que moi saura mieux en parler. C'est donc contraint et forcé que je cède pour cette recension la place à Madame Yv (notez cependant jusqu'où va ma soumission, c'est moi qui tape le texte sous la dictée ! Je ne suis pas allé jusqu'à m'habiller en secrétaire, mais pas loin...)

Lorsque Yv me prête ce livre, je suis en plein dans un MOOC (Massive Open Online Course = Cours en Ligne) sur la pensée critique. Dans ce cours, il est souvent fait référence aux régimes totalitaristes. Le roman de Theresa Révay l'illustre parfaitement, il tombe donc à pic. Alice Clifford est une jeune femme qui fait son travail dans les pays soumis à un tel pouvoir. La romancière y aborde les thèmes de la propagande, de la pensée unique, du culte du chef, des peuples qui suivent aveuglément... En outre, j'apprends plein de choses sur cette période dans différentes régions du monde, j'avoue des lacunes que ce roman comble en partie.

Alice est attachante et touchante, écartelée entre ses amours et sa liberté professionnelle et individuelle : être une femme et s'affirmer n'est pas aisé encore de nos jours, mais en 1940, c'est carrément mission impossible. C'est un beau portrait d'une femme battante, énergique et volontaire qui a parfois des moments de doute et de faiblesse. Elle peut rêver d'une vie confortable et tranquille à laquelle elle sait pourtant qu'elle n'accèdera sans doute jamais son amour absolu pour son métier de reporter de guerre prenant toujours le dessus...

Une lecture que je conseille donc et tant pis pour Yv, il ne sait pas ce qu'il perd.

Madame Yv

PS : j'ai -enfin- pu rencontrer brièvement Theresa lors du printemps du livre de Montaigu le ouiquende dernier, brève mais extrêmement agréable rencontre. Theresa est charmante, dynamique et c'est un vrai plaisir que de converser avec elle. Yv

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3 mai 2017

Ce roman qui débute comme une grosse blague s'avère bien plus profond qu'il n'y paraît. D'abord, il fait le point sur le désarroi des Français face à l'offre politique qui tourne sur elle-même depuis des décennies. Nos représentants se ressemblent, s'adoubent entre eux. Dès que l'un sort un peu du lot, il est moqué, raillé avant d'être fortement attaqué s'il commence à représenter un danger pour ceux qui s'autoproclament héritiers légitimes. Qui sont nos représentants au parlement ? Des médecins, des avocats, des notaires, des élus réélus réréélus... Des ouvriers ? Pas un. Qui, dans l'élection qui arrive dans dix jours, prend au sérieux Philippe Poutou, ouvrier ? Nathalie Artaud, prof ?

C'est de cela que parle ce roman, mais aussi de la difficulté de trouver du travail en France, de l'amitié et de l'ambition qui ne font pas toujours bon ménage, de la trahison, de l'amour... Ces six trentenaires sont les archétypes d'une génération qui se cherche et qui cherche à renouveler la société. Pas facile toujours de combiner les deux. Sans doute commencer par soi-même permet-il d'être plus apte à faire évoluer autour de soi plus ou moins largement.

Julien Leclercq décrit bien le malaise actuel dans la société et il en cherche les raisons et des solutions. Elles peuvent parfois paraître utopiques, mais c'est cela qui fait avancer. A n'être que dans la réalité, on gère le quotidien, sans vision d'avenir. C'est sans doute cela qu'il nous manque. Je me souviens d'un slogan et d'une chanson que mon papa passait souvent aux alentours de 1981 -et oui, que voulez-vous, tout le monde n'a pas eu, comme moi, la chance d'être élevé par des parents socialistes- et qui disait "Changeons la vie ici et maintenant". Michel apporte cela aux Français demandeurs de nouveautés, de fraîcheur. Une vision positive.

Le livre commence comme une blague écrivais-je plus haut et il devient de plus en plus sérieux, politique, tout en gardant une trame de comédie, de roman. C'est une lecture bien agréable et souhaitable avant d'aller glisser le bulletin dans l'urne. A lire avant ou après, en tous les cas en complément des programmes des candidats à l'élection du 23 avril prochain, qui paraissent bien ternes et usés à côté de Michel.

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3 mai 2017

Pôle nord éditions est une jeune maison créée en 2013 à Lille. Sa collection Belle époque de laquelle est tirée cet ouvrage a pour cadre le littoral nordiste et picard aux alentours de 1900.Michel Bouvier écrit le numéro 6 de la série. Michel Bouvier, je l'ai déjà lu avec bonheur, deux fois : Lambersart-sur-Deuil et Le silencieux. Cette fois encore, il aborde ses thèmes de prédilection : la bourgeoisie nordiste, le monde ouvrier et la difficulté de passer de l'un à l'autre (ce dernier aspect étant moins présent mais fort naturellement puisque les deux mondes ne se mélangent pas, n'en ont même pas l'idée, au contraire des deux romans précédents, contemporains dans lesquels le passage du monde ouvrier à une classe sociale plus haute est si ce n'est plus aisé au moins envisageable). Michel Bouvier parle aussi de religion, de sa présence voire son omniprésence en cette fin de XIXe siècle, je pourrais même dire sa dictature tant elle forme les esprits et dicte les actes. Contrairement à ses romans précédents, le romancier se fait plus critique vis-à-vis de l'église et de ses principes et peut même pousser à de belles réflexions sur l'amour humain, sur l'humanité, la fraternité, ... "Il ne songeait pas seulement que ces hypothèses nouvelles sur les origines de l'homme entraient en contradiction avec ce qu'il avait appris au catéchisme, à quoi il avait cru naïvement et qu'il croyait encore obscurément, que l'homme avait été créé par Dieu à son image et placé dans un merveilleux jardin à l'Orient d'un monde parfait. Il ne se rendait pas compte que son incapacité à sortir de ses interrogations venait sans doute de la cohabitation dans les couches profondes de son esprit de ces deux convictions contradictoires : l'homme est sorti parfait des mains de Dieu ; le criminel obéit à des pulsions mauvaises qui remontent à l'origine obscure de l'homme." (p.71/72)

L'intrigue de son roman policier est servie par une langue soignée, travaillée et qui est un plaisir à lire et à dire. De belles longues phrases, profondes qui vont au cœur des personnages, Gaston Dewiquet en particulier. Elles décrivent aussi admirablement les lieux, le temps, les nuages... C'est bourré de beaux mots, de vocables locaux également, d'imparfaits du subjonctif -j'en vois qui frétillent en lisant cela. C'est un roman policier que l'on lit lentement, d'abord pour profiter du style et parce que les longues phrases incitent à la lenteur ; on colle au plus près au rythme du policier et de sa jument Soyeuse qui le mène sur les chemins et routes du nord. C'est assez rare de lire des romans policiers dans un style aussi particulier, ils vont souvent vite, sont argotiques, rapides, parfois insipides sauf leur intrigue. Les polars de Michel Bouvier, on les lit d'abord pour son écriture et le reste vient ensuite naturellement, sans forcer, tout coule admirablement.