La justice sociale, Les enjeux du pluralisme
EAN13
9782200266530
ISBN
978-2-200-26653-0
Éditeur
Armand Colin
Date de publication
Collection
Cursus
Nombre de pages
208
Dimensions
21 x 15 cm
Poids
298 g
Langue
français
Code dewey
330.155
Fiches UNIMARC
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La justice sociale

Les enjeux du pluralisme

De

Armand Colin

Cursus

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Conception de couverture : Dominique Chapon et Emma Drieu

© Armand Colin, 2006

Internet : http://www.armand-colin.com

Armand ColinÉditeur• 21, rue du Montparnasse• 75006 Paris

9782200247447 – 1re publication

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dirigée par Gilles FerréolPARUTIONS RÉCENTES DANS LA MÊME COLLECTION

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Alain Policar collabore au pôle « pensée politique et histoire des idées » du CEVIPOF, est membre du comité de rédaction de Raison Présente et directeur des Cahiers rationalistes. Il a publié de nombreux articles et collaboré à un grand nombre d'ouvrages (dont le Dictionnaire de l'altérité et des relations interculturelles, Armand Colin, 2003).

Ce livre est dédié à Clotilde, Yann, Judith et Hannah.

Je remercie également Gilles Ferréol pour son amitié et sa confiance.

Chapitre IL'exigence utilitariste

Dans la mesure où le renouvellement du débat sur la justice est essentiellement dû à la publication de l'ouvrage de Rawls, il peut paraître surprenant de commencer ce livre par un examen de la philosophie utilitariste. Mais si, comme l'écrit Nozick, les philosophes politiques ont eu, après 1971, à se déterminer par rapport à Rawls, ce dernier a écrit son premier grand livre en référence à l'utilitarisme. Il est donc important de connaître les éléments fondamentaux d'une pensée largement méconnue et trop souvent travestie. Ses détracteurs ne partagent pas tous les jugements sévères (et sommaires) de Jacques Maritain (« De l'utilitarisme de Bentham et Mill, je ne crois pas que la philosophie morale ait rien à tirer d'important » [Maritain, 1960, p. 127]) ou de Nietzsche (« Hédonisme, pessimisme, utilitarisme, eudémonisme, toutes ces philosophies qui mesurent la valeur des choses d'après des phénomènes accessoires, sont des philosophies superficielles et des naïvetés, que tout homme doué de force créatrice et d'une conscience d'artiste ne peut considérer qu'avec ironie et pitié » [Nietzsche, 1975, p. 163]), mais il est assez commun d'adopter une attitude condescendante à l'égard des préceptes utilitaristes. Cette attitude est, disons-le clairement, infondée, d'autant que l'utilitarisme a souvent montré sa capacité à tenir compte des objections qui lui ont été adressées (Smart et Williams, 1997). Si Rawls a pris la peine de réfuter une philosophie alors dominante, il y a, à l'évidence, d'excellentes raisons.

Il faut dire que la France est, de tous les pays d'Europe, celui qui a manifesté la plus grande méfiance à l'égard de l'utilitarisme. Il s'agit d'un phénomène d'autant plus surprenant qu'à l'origine de celui-ci on compte les matérialistes français du XVIIIe siècle (le principe d'utilité publique de Bentham s'inspire certes de Hume mais aussi d'Helvetius). Mais, comme le remarque Catherine Audard, « cette inscription de l'utilitarisme dans la tradition française a été oubliée et la pensée française a pendant près de deux siècles, rejeté, méprisé et, en définitive, ignoré la nature et les enjeux véritables de l'utilitarisme, se rangeant plus ou moins derrière la bannière de Marx » (Audard, 1999, p. 54-55). Aussi la France est-elle passée à côté de ce grand bouleversement intellectuel et politique effectué dans l'Ecosse des Lumières, vers la fin du XVIIIe, « qui s'est voulu – et qui a été réellement – l'acte de naissance de la modernité » (Nicolet, 1994, p. 479). Il convient toutefois de souligner qu'un penseur fait exception : Tocqueville, écrivant, en 1840, que « la doctrine de l'intérêt bien entendu » est la théorie philosophique « la mieux appropriée aux besoins des hommes de notre temps ». Claire et sûre, à ses yeux, elle « retourne l'intérêt personnel contre lui-même et se sert, pour diriger les passions, de l'aiguillon qui les excite » (Tocqueville, 1992, p. 637). Ce jugement clairvoyant illustre la puissance d'attraction d'une théorie qui, à travers l'un de ses grands précurseurs, affirme, dès 1725, que « l'action la meilleure est celle qui procure le plus grand bonheur au plus grand nombre ; et la pire, celle qui, de façon analogue, occasionne le plus grand malheur » (Hutcheson, 1991, p. 179). On a là le fondement même du principe d'utilité, si souvent mal compris.Généalogie des utilitaristesLes principes de l'utilitarismeCe que l'utilitarisme n'est pas

La plupart des utilitaristes ont dû dénoncer les confusions commises par leurs interprètes. Ils ont ainsi dépensé beaucoup d'énergie à préciser ce que l'utilitarisme n'est pas. Henry Sidgwick, dans un chapitre de The Methods of Ethics intitulé « The Meaning of Utilitarianism », met l'accent sur une erreur commune : « Le mot Utilitarisme [...] semble être employé pour désigner plusieurs théories différentes, n'ayant aucun lien nécessaire les unes avec les autres et ne portant pas sur le même sujet » (Sidgwick, 1907, p. 411.) Sur quoi portent généralement ces confusions ? Le principe d'utilité, théorie éthique, peut être confondu avec une théorie psychologique assez sommaire selon laquelle l'homme cherche exclusivement et constamment son plaisir. Un lecteur aussi avisé qu'Élie Halévy interprète le principe d'utilité comme signifiant que les hommes « naturellement tendent au plaisir et fuient la peine » (Halévy, 1995, p. 179). Il ajoute que cette philosophie « considère l'individu comme primitivement égoïste, et toutes les inclinations désintéressées comme autant de transformations de cet égoïsme primordial » (ibid., p. 236). Cette lecture erronée est d'autant plus étonnante que les utilitaristes n'ont jamais lésiné leur peine pour l'écarter. En 1920, John Austin devait, une fois encore, préciser : « La doctrine éthique que j'appelle "doctrine de l'utilité" n'a aucun rapport nécessaire avec aucune théorie des motivations » (Austin, 1920, p. 57.) La cause devrait être entendue : l'utilitarisme est une doctrine éthique et non une théorie psychologique. Il cherche, par conséquent, à déterminer, comme l'a souligné Sidgwick, non ce qui est mais ce qui doit être. Cela implique une distinction claire entre ce que poursuit chaque individu au nom de son bonheur personnel et ce que doit être le bonheur comme fin éthique. L'utilitarisme, loin d'être une morale utilitaire, doit être compris comme une éthique normative.

Mais, ce point précisé, on n'a pas épuisé toutes les sources d'erreur. Il en est une, tout aussi durable, qui consiste à réduire la doctrine à une éthique égoïste, seulement préoccupée de la recherche du bonheur personnel, alors qu'elle a pour but de définir les conditions du bonheur de la communauté. Sidgwick, comme le rappelle Francisco Vergara dans son précieux ouvrage Les Fondements philosophiques du libéralisme (1992, puis 2002), a vivement combattu cette méprise : « Pour différencier les deux méthodes qui prennent le bonheur comme but ultime, il convient de les distinguer par les appellations Hédonisme Égoïste et Hédonisme Universaliste : et, puisque c'est cette deuxième méthode, telle qu'elle a été enseignée par Bentham et ses disciples, que l'on entend généralement par "Utilitarisme", je limiterai toujours l'usage de ...
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