Marée noire

Attica Locke

Gallimard

  • Conseillé par
    29 mars 2011

    Ce qui ne te tue pas te rend plus fort… Jay Porter ne serait sans doute pas d’accord avec cette affirmation. Avocat noir dans une justice dominée par les Blancs, il n’a pour gagner sa vie que de petites affaires minables à défendre et tous ses clients ont la même couleur de peau que lui. Sans doute rêvait-il de mieux, du temps où, étudiant, il s’était engagé dans la défense des droits civiques. Mais ce passé trouble est justement ce qui le gouverne et s’il ne l’a pas tué, il ne l’a pas non plus rendu plus fort. Au contraire, Jay Porter a peur : pour lui, pour sa femme, pour le bébé à venir et leur vie en général. Aussi, quand le soir de l’anniversaire de Bernadine, son épouse, il est témoin d’une fusillade et sauve une femme blanche de la noyade, il préfère ne rien dire aux autorités. Très tôt, il a compris que dans ce pays, quand on est noir, il vaut mieux la fermer…

    Mais tout ne se passe pas exactement comme il l’avait prévu et bientôt, il se retrouve malgré lui, pris dans les engrenages d’une histoire qui le dépasse et touche aux plus hautes sphères du pouvoir…

    Sur fond de grève des dockers, de revendications raciales et de crise du pétrole, Attica Locke écrit là une histoire bien ficelée qui captive le lecteur. Il n’y a rien à redire : c’est un bon polar, fidèle aux standards du genre et qui évoque une période assez peu exploitée de l’histoire des Etats-Unis. De plus, il est bien traduit, pour ce qui concerne sa version française. C’est assez rare pour être noté. Jay Porter est crédible en anti-héros apeuré, qui vit avec son passé comme un boulet au pied. Injustement accusé, il a fait de la prison et n’a qu’une trouille : y retourner. Cette peur mange tout en lui et l’auteur le montre bien. Il en oublie tout le reste : ses clients, sa femme, son avenir, ses rêves de justice et de liberté… Le passé, c’est l’ombre même de cet avocat qui semble être bloqué quelques années en arrière. Le lieu où peut-être il trouvera la force de dépasser ce qui l’a arrêté…

    Malgré toutes ces qualités, je n’ai pas été totalement conquise par cette histoire. Je suis restée un peu en dehors. Le fait de faire reposer toute la personnalité de Jay sur un seul sentiment – la peur – est peut-être justifié mais cela prive aussi le personnage d’une dimension. C’est comme s’il n’avait qu’une facette… La fin, heureusement, en révèle une autre et bien plus lumineuse…Quant à l’intrigue, je l’ai trouvée inutilement compliquée… C’est donc un bilan mitigé : un certain plaisir assorti d’un couac de vilain petit canard…


  • Conseillé par
    13 mars 2011

    Attica Locke. Marée Noire.


    Attica Locke est un auteur dont il faut retenir le nom. Scénariste pour la télévision et le cinéma, elle s'affirme, dès son premier roman, comme un écrivain de talent. Elle sait parfaitement construire une intrigue et créer des personnages forts comme Jay Porter, avocat d'une trentaine d'années.
    A Houston, au début des années 80, Porter vivote, la plupart de ses clients n'ont guère le moyen de le payer. Quand il se décide à offrir un cadeau d'anniversaire à son épouse, faute de moyens, la croisière idyllique se passe sur un bayou bouseux à bord d' un rafiot crasseux. La promenade au fil de l'eau va faire basculer la vie de Jay et ressurgir un passé volontairement oublié.

    Brutalement sur une des berges du bayou des cris se font entendre puis des coups de feu, une femme plonge dans les eaux sombres du bayou .Jay plonge et sauve l'inconnue…C'est le début d'une palpitante histoire où se mêlent dockers en grève, syndicalistes pourris, vieux militants politiques, élus locaux, hommes de lois, magnats du pétrole… tous les éléments d'un roman noir.

    Marée noire n'est pas seulement un très bon roman policier, c'est aussi un grand roman qui nous présente une réalité sociale américaine contemporaine. Jay Porter n'est pas seulement avocat, mais surtout il est noir. Son origine ne lui permet pas de s'occuper de grandes affaires, il défend les marginaux de la société, essentiellement les noirs. S'il ne s'est pas rendu au commissariat de police après l'incident du bayou c'est par peur. Fils d'un père assassiné gratuitement par des blancs, il a milité activement dans des associations de défense des droits de l'homme et dans des mouvements d'anticipations noirs des années 70. Même s'il a rompu avec la vie politique, il continue à avoir peur de la police et de la justice toujours aux mains des blancs.
    La force de Attica Locke, romancière noire, est de nous faire partager l'angoisse d'un homme qui craint de voir ressurgir son passé. Il est en effet un ancien activiste de la cause noire, et bon nombre de ses anciens amis sont morts pour leur cause.
    Dans sa postface, Attica Locke explique que le point de départ de son roman est tiré d'un fait divers réel auquel elle a assisté étant enfant. La "croisière" sur un bayou et les coups de feu ont existé Les protagonistes ne sont pas intervenus, non par crainte de ce qui se passait, mais parceque pour un noir il était préférable de ne rien voir. Ils ont prévenu la police plus tard. C'est donc en s'appuyant sur des attitudes de personnes qu'elle connaît bien, en particulier de son père, qu'elle a créé ses personnages. Le roman est une plongée par l'intermédiaire de la fiction, dans l'histoire de la minorité noire au sud des Etats-Unis. Et l'égalité des droits obtenue dans les années 60, ne s'est pas traduite réellement sur le terrain dans les années 80.

    A lire absolument.