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    23 janvier 2019

    Ils sont trois : une professeure d’allemand au lycée, une jeune fille ayant mis en pause ses études et un homme au chômage. La professeure subit ses cours, n’a plus d’entrain à enseigner. Elle et sa fille sont deux étrangères vivant sous le même toit, chacune enfermée dans ses préoccupations. Et puis un jour, un élève l’insulte, elle franchit la ligne rouge. Mise en arrêt de travail, elle commence à donner des cours de français à des adultes étrangers dans un centre qui accueille des migrants, collecte et revend des meubles, des vêtements. Malgré les difficultés rencontrées dans son activité de bénévole, elle ne baisse pas les bras bien au contraire.
    La jeune fille, elle, a trouvé un petit boulot : s’occuper d’un garçon autiste. Un job rémunéré en cash par la mère du garçon qu’elle ne voit jamais dans le petit appartement insalubre de le tour qui va bientôt être démolie. Elle pourrait alerter les services sociaux de la situation ou s'en tenir strictement aux consignes : préparer un repas au garçon, rester un peu avec lui et s'en aller. Mais elle s’attache à lui et essaie, malgré son mutisme, de créer un lien, si fragile, soit-il, avec lui.
    L’homme, lui, se voit proposer un travail pour cinq mois payés 20 000 euros sans aucun frais. Pas de loyer, pas de nourriture pour être agent d’entretien sur une station de pompage à l’étranger. Il accepte, se voit déjà revenir triomphant avec l’argent. Sauf que la situation sur place est bien loin de ce qu’on lui a vendu. Il est seul, ne dispose pas d’électricité ou d’eau courante sans aucun repère du temps qui passe, "il doit affronter la nature, développer sa réflexion et la créativité qui sont la marque spécifique des humains".

    Avec ces personnages sans lien apparent, isolés, bousculés et déstabilisés dans leurs repères, Thierry Beinstingel nous confronte à la réalité de ceux qui n’ont plus rien mais aussi de ceux qui semblent s'effacer de leur vie. Sans se faire donneur de leçons ou d’user de bons sentiments, il modifie le regard du lecteur et l’amène à reconsidérer ou à percevoir différemment une situation et surtout à se démettre de jugements hâtifs.

    Non seulement, il y a l'histoire qui happe le lecteur et la construction intrigante de ce roman renforce ce sentiment d'immersion (un livre lu, vous l'aurez compris, en apnée totale). J'aime l'humanité de cet auteur, j'aime comment il s'empare de sujets de société pour nous interpeller, j'aime son écriture fine et sa précision des mots.
    Une lecture forte, riche en émotions et en réflexions.

    "Chacun court après sa vie élabore son petit confort comme Robinson sur la gravure : une table pour asseoir sa posture, un buffet pour le peu qu'on possède sur terre, un perroquet en miroir pour être toujours d'accord avec soi-même. Et comme Robinson, on craint depuis toujours que débarque un Vendredi pour bousculer nos habitudes. Le migrant d'aujourd'hui joue ce rôle. L'humanité entière reste à rassembler."

    "La perspective d'une intégration par l'alphabétisation est une flatterie démagogique, ici, personne n'est dupe."